Au début de la trentaine, Richard est déjà un grand homme dans son petit pays. Il y est né, y a grandi et y a reçu son éducation. Il a fait prospérer l’héritage familial dans sa patrie où la majorité de la population est pauvre. D’être un homme aisé fait de lui un membre de la minorité. Les gens sont toujours curieux du mode de vie des minoritaires, sur ce, la vie de Richard a pour eux beaucoup d’intérêt.
Les jeunes l’admirent. Quand ils décrochent un diplôme, ils espèrent trouver du travail dans l’une de ses entreprises. En raison de la diversité de ses investissements, Richard fait appel à beaucoup de compétences différentes. Pour lui, l’illettré peut œuvrer à l’entretien ou au gardiennage ; celui qui sait lire peut devenir un commis ; des tâches plus dignes sont confiées à ceux qui ont fréquenté l’école professionnelle ; de plus grandes responsabilités il confie à ceux qui ont leur baccalauréat ; ceux qui détiennent un diplôme universitaire grandissent avec l’entreprise. Une chose certaine c’est qu’ils feront tous carrière dans un de ses établissements. Celui-ci valorise et donne de la fierté à tous ses employés. Pour Richard, ils sont tous des « collaborateurs », un titre qu’il leur octroie, leur donnant une importance qui leur est chère.
Richard est traité avec considération. Un compatriote aussi valable et exemplaire doit rester sur ses terres et épouser une femme de son pays. On craint l’influence d’une épouse étrangère pouvant porter son mari à s’exiler du pays, qui souffre déjà du phénomène courant de l’exode des cerveaux. Richard ne déçoit point en ce sens. À trente-cinq ans, il décide de convoler en justes noces avec une femme « locale ».
La génération, qui a connu son père mort dans la force de l’âge, se plaît à dire comment ce dernier aurait été fier de voir ce fils unique prendre la relève avec tant de compétence, tout en faisant grandir et diversifier l’empire qui lui a été légué. Une autre réminiscence liéeà son grand-père : « il s’agissait d’un homme honnête, rude travailleur, grand propriétaire de terres reçues en héritage de plusieurs générations précédentes dont Richard hérita le sérieux et l’esprit visionnaire pour faire avancer les choses. » Quelle malchance que ce petit pays abrite si rarement des leaders de telle qualité !
Les autorités en place composent avec Richard, lui demandant conseil et lui donnant des avantages incitatifs, espérant que sa fortune et les nombreux emplois qu’il crée arrivent à amener le revenu per capita de leur pauvre pays à enfin atteindre les quatre chiffres. C’est qu’eux-mêmes, les politiciens, ne font pas preuve d’un aussi grandacte de foi pour ce pays qu’ils dirigent, mais dont ils mesurent la fragilité, conscients de tout ce qu’on peut leur reprocher, de tout ce qui peut leur faire perdre leur pouvoir. Contrairement à Richard qui investit et réinvestit dans son pays, ils préfèrent eux en effet sortir leur argent du territoire et placer leur épargne dans des marchés plus stables. Richard pratique le vrai civisme et un patriotisme authentique.
Un tel magnat est connu au niveau des grands consulats installés dans son petit pays. Il n’a point besoin de soumettre la masse de documents réclamée aux autres pour l’obtention d’un visa. Il jouit d’une possession d’état et c’est, pour les consuls, un honneur d’apposer le sceau du visa sur le passeport de Richard et celui de sa femme. Ceux-ci voyagent souvent et connaissent le monde. Pour oublier les difficultés du tiers-monde, ils choisissent de visiter les grands pays dont ils admirent le développement, l’organisation, la richesse. Cependant, ils éprouvent souvent la désagréable et inhabituelle sensation de s’y sentir insignifiants et anonymes, malgré leur apparence, les hôtels exclusifs dans lesquels ils logent, les voitures luxueuses qu’ils louent, les restaurants hors de prix où ils mangent. Il leur pèse d’accomplir eux-mêmes des tâches banales comme celle de faire eux-mêmes le plein d’essence de leur véhicule. C’est l’une des raisons pour lesquelles Richard et sa femme sont toujours heureux de retourner chez eux où ils sont traités en personnages importants.
Leurs voyages ne sont jamais de longue durée, mais provoquent toujours chez eux des questionnements, une sensation d’insécurité lors de leur retour dans leur pays qu’ils aiment et auquel ils prouvent leur fidélité par le dur labeur qu’ils y accomplissent. Ainsi, après avoir évolué, même très peu de temps, dans le monde du développement, la misère et tout ce qui va avec leur parait insupportable à côtoyer les premiers jours : les rues cahoteuses, l’insalubrité, la profusion de commerces minables, le désordre, le peuple laissé-pour-compte… Une patrie n’a-t-elle pas devoirs et responsabilités envers ses citoyens ? Peut-on être grand au milieu de la pauvreté ? Cependant, l’habitude étant une seconde nature, ils reprennent bien vite leur place dans cette société.
Un enfant ils conçoivent ! Il ne manquait que cela à ce couple amoureux citoyen de ce pays qui leur a permis la réussite économique, sociale et politique.
Comme ils sont heureux ! La succession est assurée. Ils mettront au monde un enfant comblé ! Ils lui donneront un prénom fort. Ils veulent le meilleur pour ce bébé qui va naitre. Pourtant, leurs rêves ne viennent pas sans trouble. Sont-ils vraiment grands ? Celui qui grandit dans un pays développé n’a-t-il pas, dès la naissance, plus d’opportunités que même le grand né dans un petit pays ? D’où vient ce sentiment de culpabilité qu’ils ressentent quand ils pensent que leur pays est trop petit pour ce fils chéri qu’ils vont mettre au monde ? Ils veulent que la vie lui soit favorable à tous les niveaux. Pour cela, il doit être citoyen d’un grand pays ! Pour eux, ce n’est pas chose difficile ; ils voyageront et le feront naitre sur un territoire riche qui offre le droit du sol.
Richard sourit déjà. Il aura un fils grand homme dans un grand pays.
Contente de lire un nouveau texte d’en toi, Agnès!!!!
Un citoyen haïtien qui devrait faire de émules!!!!
Tu nous gratifies d’une nouvelle histoire! Bravo! Je suis curieuse de lire la suite!
Merci Benjie.
Agnes c’est un vrai plaisir de lire tes textes. Agréable, fluide et perspicace. Je crois que plus d’un se retrouve dans “Un citoyen exemplaire”. On se pose souvent les questions que tu évoques à la fin du texte. J’ai choisi d’être Une citoyenne du petit pays et espère de tout cœur que je connaîtrai le début du progrès tant rêvé 🙂
“🎶Seigneur accorde ton secours
Au beau pays que mon cœur aime
Celui que j’aimerai toujours
Celui que j’aimerai quand même
Tu m’as dit d’aimer
Et j’obéis
Seigneur protège mon pays🎶”
Chanson patriotique
Very profound. So well said.
This dilemma has always existed. Do we choose our well being or do we stay and fight for a better country.?
It is fair to say that the recent developments are making this decision more and more problematic.
Big dilemma
J’ai eu du plaisir à te lire une fois de plus.Ton style est si parfait qu’il me porte à me remettre sur mon ouvrage. Une ecrivaine débutante comme moi , trouve en toi un modèle de perfection.Je me mets dans la peau de Richard qui choisit de lutter contre l’acculturation pour les grands pays.
Céleste, tes propos sont très gentils et me flattent. Je suis de ceux qui pensent que l’on n’atteint jamais la perfection parce qu’il y a toujours un espace pour grandir et devenir meilleur. Mais il faut avoir un jour le courage de se jeter à l’eau! Je te souhaite de bientôt faire ce saut.
Sur ce, je me demande si Richard peut être qualifié de courageux quand il sort de sa zone de confort pour offrir à son fils une citoyenneté dans laquelle il ne retrouvera pas sa culture ?
Je n’ai pas la réponse …
Agnes as my grammar and orthography in french are below par, I comment to you in english. Love this short story. Kind of a critique in this narratve about Richard. I hope Richard and wife let their child be born in their native country, as it surely needs more people like Richard.
Arielle, the sad part is that the « Richards » have their children born in lands who offer a better future. Can we blame them for this ? There is the right to offer the best to your children … Do the small countries offer the best to their citizens ? So many questions for which I don’t have an answer.
Merci d’avoir partagé avec nous. J’aime bien l’histoire et j’ai hâte de lire les autres.
Merci Alain pour ton intérêt. Navigue à travers le blog pour découvrir d’autres histoires et dans les librairies haïtiennes et sur Amazon.com tu peux trouver mes deux livres : Des nouvelles d’Elisabeth et La première bouchée.
Plusieurs points à discuter. Je m’arrête sur celui qui est plus populaire: pour être « grand » faut-il être citoyen d’un grand pays? » C’est vraiment triste que notre mentalité ait ainsi changé en moins de 50 ans. Je me rappelle encore mon père, cadre administratif à l’ambassade américaine, refusant la carte de résidence offerte à ses enfants que son emploi lui offrait. Je le vois encore refusant l’offre gratuite de nous inscrire à Union School. En cela il avait raison: notre formation à l’école locale était solide. Une américaine, fille de diplomate en fonction, ne fréquentait-elle pas la même école que ses filles? Le « blanc » lui proposait donc une école où sa fille, Susan Mc.C. n’irait pas? Allons donc, « thanks but no thanks. »
Ma réponse à ta question posée, chère Agnès, est un NON sonore. Nous pouvons être grand dans un petits pays. Le problème est que ces 30 dernières années ont tué l’ESPOIR de tout un peuple. Et celui des « grands » et celui des « petits . »
Je discuterai bientôt d’un autre point aussi important soulevé dans ton texte.
Je te remercie pour ce commentaire, chère Etsuko. Mes questionnements sont nombreux : peut-on être grand évoluant dans la pauvreté et la mauvaise gouvernance ? N’est-on pas affecté par notre environnement? C’est grave de fermer les yeux, mais est-ce lâche de fuir? Des efforts individuels accumulés ne finissent-ils pas par faire un impact? Le négativisme est-il plus facile que l’action??? Peut-on avancer sans action? J’ai la tête qui tourne en pensant à tout cela
Compliments
J’imagines deja la suite:Richard rattrapé par un imbroglio incroyable dont seule toi a le secret
On attend
Merci Agnès de penser à moi
A bientot
Alex, merci à toi d’avoir lu et d’avoir pris le temps de commenter. J’apprécie ton intérêt.
Te lire est toujours un plaisir. Cependant le fonds de cette histoire…. le dénouement nous met en face de notre réalité. Inquiets de l’avenir de ce pays que pourtant nous aimons tant, nous pensons comme Riichard.
Nous préparons notre progéniture pour en face! Et ceci à tous les niveaux sociaux……La confiance n’est plus au rendez-vous. Il faut qu’à 8 mois on soit sur le sol choisi pour accueillir la nouvelle génération. 😭😭
Merci pour ton commentaire, Gladys… c’est un sujet qui me porte à beaucoup réfléchir…
J’adore ! 🥰
Merci Nathalie!
Quel plaisir que j’aie à te lire!! J’attends la suite!
Merci Tessa !