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Le Vendredi 14 juillet 2017 : Dubrovnik

Sortir de Venise a été spectaculaire et j’attends maintenant avec impatience les différents accostages dans les ports ainsi que les sorties des villes. Il est prévu d’arriver aujourd’hui à Dubrovnik à deux heures de l’après-midi. Je m’assure d’être bien placée pour voir défiler cette ville devant mes yeux. Mais rien n’égale Venise qui permet de se promener le long de ses canaux. Néanmoins, il est quand même beau de s’approcher des côtes croates, de voir la terre, la verdure et les toits rouges propres à la Croatie.

Dubrovnik, ville portuaire de la Croatie, est une destination dont je rêve depuis plusieurs années. En 2011, j’ai eu le plaisir de visiter Zagreb, la capitale de la Croatie, que j’ai beaucoup aimée. Cependant, je rêvais de visiter une ville côtière de ce pays, principalement Dubrovnik, située en bordure de la belle mer Adriatique, logée entre la côte est de l’Italie et le littoral slovène, croate, monténégrin et albanais. Les riverains sont fiers de vanter la propreté et la clarté de ses eaux.

Dès deux heures trente, Adrien et moi partons en excursion. Elle commence à bord d’un petit bateau qui nous fait voir la Riviera croate, longeant cinq kilomètres de la péninsule de Lapad pour arriver à Dubrovnik. Nous sommes charmés par la vue des belles villas, des grands hôtels, enfin des impressionnants remparts de la vieille ville. Une fois accostés au port de la vieille ville, nous y entrons pour découvrir la beauté de La Placa, également appelée le Stradun, artère principale de Dubrovnik. En longeant cette rue piétonne, propre, pleine de charme, nous découvrons les merveilles architecturales de la ville : le palais des Recteurs, les merveilleux portails, la petite fontaine d’Onof et la grande fontaine D’Onofrio, débitant toutes deux de l‘eau fraîche potable, l’Église Saint-Sauveur, le monastère franciscain, la Tour de l’Horloge, l’Église baroque Saint-Blaise, patron de la Ville. D’ailleurs, une statue de Saint-Blaise est aussi au-dessus des portes de la ville avec sa mitre et son bâton épiscopal. Il est réputé pour soigner les maux de gorge et le 3 février, il est grandement fêté à Dubrovnik où les fidèles en masse se font bénir la gorge à l’aide de deux cierges allumés croisés sur leur gorge.

De mon guide, j’apprends des faits intéressants et divertissants au sujet de la Croatie :

  • c’est en Croatie que la cravate moderne a été inventée. Sous Louis XIII, l’un des régiments de hussards croates portait une écharpe blanche dont la mode gagna la cour de France. L’origine du mot cravate est d’ailleurs une déformation du mot croate.
  • C’est un jeune Croate du nom de Ivan Vucetic qui a utilisé en premier, en Argentine, au 19ème siècle, les empreintes digitales pour l’identification. Né en Croatie, Ivan Vucetic s’est établi en Argentine en 1882, à l’âge de 23 ans et s’est même naturalisé argentin. Les Croates le considèrent toujours comme leur fils. J’ai aimé voir les belles cravates décorées d’empreintes digitales vendues à Dubrovnik.
  • Ce beau pays, dont la devise est « La liberté ne se vend pas même pour tout l’or du monde », a été, en 1416, le premier État européen à abolir l’esclavage. Ce fait me touche plus que tous les autres.

Je me suis aussi laissé dire par mon guide que la Croatie est le premier pays au monde à avoir reconnu les États-Unis d’Amérique comme un pays indépendant. Sous la présidence de Georges W. Bush, Dick Cheney, alors Vice-Président des États-Unis d’Amérique, a visité la Croatie et on lui a offert en cadeau un document officiel apportant la preuve de cette reconnaissance qu’il ignorait. J’ai beaucoup cherché, sans succès, à vérifier ce fait sur internet : Google et autres outils ne me l’ont pas confirmé.

De même que sur une note plus légère, notre guide nous raconte que les jeunes filles portant des perles en Croatie donnaient lieu au papotage, les gens étant curieux de savoir où et comment elles s’étaient procuré ces trésors. En Croatie, une loi a donc été mise en application interdisant aux femmes non mariées de porter des perles. Je trouve cette anecdote distrayante, même si encore une fois je n’ai pas réussi à la vérifier.

Pour les amateurs de séries télévisées, on mentionne que « Games of Thrones » a des scènes filmées à Dubrovnik, entre autres, sur le monumental escalier baroque au sud de la pittoresque place Gundulíceva, également tout près de la Porte Pile qui fut pendant des siècles l’entrée principale de la ville. Pour les fans de « Games of Throne », on offre des tours pour revoir les endroits où les scènes de cette série ont été filmées.

Je suis émerveillée de l’infrastructure des lieux, de la propreté et de l’organisation de toute chose à  Dubrovnik et il est difficile de croire que cette belle ville a été détruite en partie par les bombardements yougoslaves, serbes et monténégrins en décembre 1991.

Il est temps maintenant de monter en téléphérique au sommet d’une montagne avoisinante pour avoir une vue aérienne de Dubrovnik. Quelle merveille de contempler la côte rocheuse et abrupte, les plages de sable, les criques, les champs bien verts, les hautes montagnes qui descendent parfois jusqu’à la mer, les îles, les rochers, cette belle mer bleue avec ces pics verts qui sortent de son eau limpide ! J’ai vu Rio de Janeiro à partir du pain de sucre et ai pensé que la topographie de cette ville lui donnait une beauté unique à vous couper le souffle. De contempler Dubrovnik du haut de ses montagnes avoisinantes m’a aussi coupé le souffle et j’ai l’impression qu’ici la main de l’homme a travaillé avec plus d’ardeur avec la nature; tout me semble plus propre et mieux organisé qu’à Rio de Janeiro, ville que, pourtant, je continue de penser être d’une beauté éclatante.

Adrien et moi avons faim. En haut de la montagne, dont le sommet est la frontière naturelle entre le littoral et l’Herzégovine,  nous allons prendre un casse-croûte dans le superbe restaurant Panorama qui offre une vue unique. C’est un rêve de déjeuner dans un décor pareil !

Officiellement, notre tour prend fin à 7h pm quand nous redescendons vers la vieille ville, mais notre guide nous dit qu’une navette amenant au bateau partira toutes les demi-heures à partir de Dubrovnik. Il est bien plus intéressant de rester dans cette agréable ville que de retourner au bateau. Nous prenons un plaisir immense à sillonner ses belles rues sans avoir à respecter la discipline et les heures d’un groupe. Nous avons maintenant le temps d’aller acheter deux cravates à Salon Croata, Pred Dvorom 2, magasin de grande réputation. Nous prenons l’apéro au charmant Troubadour Jazz Café où quatre musiciens nous charment avec leur musique.  Nous nous rendons ensuite pour le dîner au restaurant Poklisar, près du port. En dialecte de Dubrovnik, « Poklisar » signifie « ambassadeur » et ce restaurant se targue d’être l’ambassadeur de la bonne nourriture et des moments mémorables. Il remplit sa mission : le pianiste, installé sur la terrasse, nous régale de ses musiques. Je tiens à lui demander son nom et il en est honoré, disant que cela lui arrive rarement d’avoir à donner son nom. Il s’appelle Braco. Il écrit lui-même son prénom dans mon petit carnet dans lequel je prends des notes. Je me demande si un jour Braco deviendra un célèbre pianiste proposant des tournées dans le monde entier et que j’aurai l’occasion d’entendre en dehors de Dubrovnik. Vu son âge avancé, je pense que ce n’est pas son choix. Il doit être un nationaliste, préférant jouer dans son pays avec l’envie de charmer les touristes venus découvrir sa région.

Nous avons soif, nous avons chaud et prenons, pour nous désaltérer, une bonne bière du terroir : une Ozujsko.

Nous accompagnons ensuite notre délicieux repas d’un verre de vin de la côte croate, un Dingai.

À 10:30 pm, nous prenons le dernier bus menant au bateau. Quelle magnifique journée ! Nous nous demandons si les autres arrêts pourront rivaliser avec Dubrovnik. Nous sommes heureux d’y passer deux jours. Demain, nous pourrons encore jouir de cette ville et de ses environs.

 

 

 

 

Le jeudi 13 juillet 2017 : La croisière commence

Venise! J’aime cette ville où c’est encore un taxi-bateau à moteur que nous prenons avec nos bagages pour nous rendre de l’hôtel au port d’embarcation de notre croisière. Je raffole de la vive allure à laquelle nous allons sur le Grand Canal, autoroute en eau!

Rendus au port, j’apprécie l’impressionnante structure d’accueil de Celebrity Cruises. La compagnie prend soin de fournir d’avance à ses clients les étiquettes pour leurs valises. Un jeune homme portant un badge d’identification “Celebrity Cruises” récupère nos bagages sitôt que nous accostons et nous annonce que nous les retrouverons dans la soirée, dans notre chambre. Dès onze heures du matin, Adrien et moi embarquons très détendus sur l’immense paquebot Constellation de cette compagnie. Déjeuner à bord, obligatoire exercice de drill, avant le départ prévu pour quatre heures trente de l’après-midi.

Le capitaine italien Vittorio Cantù nous souhaite la bienvenue et nous invite à voir le bateau sortir de la ville à partir de l’une de ses terrasses. Il nous dit qu’il est toujours spectaculaire de sortir d’une ville ou d’y entrer en bateau.

Nous laissons le port

Au moment de dire au revoir à Venise, Adrien et moi allons donc sur une terrasse à l’arrière du navire. Et nous voilà subjugués par la beauté du tableau. Laisser Venise en bateau, c’est assister à un défilé de la ville dans toute sa splendeur. Je veux à jamais garder ce souvenir : moi immobile admirant ces immeubles et ces canaux qui se pavanent pour moi…. La beauté de cette scène dépasse l’imagination.  Au centre de trois cent soixante degrés de splendeur, je suis moi-même surprise de l’émotion qui m’étreint. J’ai les yeux embués de larmes et le silence profond qui règne autour de moi me fait savoir que la foule qui m’entoure est émue comme moi.

Défilé de la ville de Venise

Adrien reste sans voix. Nous échangeons de temps à autre des regards pour nous assurer que nous percevons les mêmes choses.  Je me sens un personnage que l’on a invité à se promener dans des toiles de Canaletto. Je suis contente de ne pas être à l’âge de ressentir la pression de cette décade, celle de partager immédiatement des photos sur les réseaux sociaux, à la recherche de “likes”, mais je veux quand même capter avec ma caméra tout ce que je vois. Je suis consciente que mes photos ne feront pas justice à ce moment fantasmagorique que j’ai le privilège de vivre!

Splendeur autour de nous

Je ferai voir mes photos à ma famille, à mes amis… mais je suis sûre que mon mari et moi n’arriverons pas à faire ressentir l’émotion de cet instant inoubliable qui, comme toute bonne chose, a une fin.

Ces photos ne rendent pas justice à la beauté de ces scènes

L’heure du dîner arrive et nous choisissons de faire une réservation dans l’un des restaurants du bateau, le Tuscan Grill, au lieu d’aller au buffet. La livraison des valises prenant du temps, il est permis le premier soir d’y aller en tenue décontractée, mais les autres jours, le code vestimentaire deviendra plus strict. Les hommes seront tenus de porter un pantalon long et les femmes devront être élégamment mises.

Au revoir Venise!

Le personnel accueillant contribue à rendre le dîner agréable et, quand arrive l’heure d’aller dormir, nous nous réjouissons déjà à l’idée que le lendemain, nous serons à Dubrovnik, en Croatie, sans avoir à faire et défaire une mallette ou nous rendre à un aéroport. Le charme d’une croisière réside dans le fait de voyager avec son hôtel. Quel luxe !

 

Le mercredi 12 juillet 2017 : Paris – Venise

Nous arrivons de bonne heure à Paris, fatigués. Nous avons très peu dormi pendant le vol de nuit, un petit garçon turbulent n’ayant pas arrêté de faire du bruit. Nous devons faire un transfert de l’aéroport d’Orly à celui de Roissy Charles de Gaulle, car c’est de là que partira le vol Air France qui nous amènera en début de soirée à Venise. Ce transfert s’avère très facile : les billets de bus sont vendus à un comptoir de l’aéroport d’Orly et l’embarquement se fait à la sortie de l’aéroport. Mais le trajet dure quand même une heure.

Pour avoir les mains libres, nous enregistrons nos bagages dès notre arrivée à Charles de Gaulle. Nous sommes un peu déçus du peu de choses à faire dans cet aéroport où nous passons une journée. Nous n’avons même pas pu y trouver un bon restaurant et avons dû nous contenter comme déjeuner d’un sandwich sans goût, acheté à une cafétéria du nom de Bert’s 2F.

À l’enregistrement, on nous avait dit que nous pouvions nous rendre au salon d’Air France. Nous n’avions pas réalisé qu’il y avait là un bon choix de choses à manger, des boissons, le WiFi et des fauteuils confortables qui nous permettent de nous assoupir. Comme nous regrettons de n’y avoir pas été tout de suite après notre enregistrement !

Le vrai bonheur de cette journée est d’arriver le soir à Venise

Le vrai bonheur de cette journée est d’arriver le soir à Venise ! J’ai la chance de déjà connaître cette ville que j’adore, mais c’est la première fois que j’y arrive en avion. On nous propose un taxi-bateau de l’aéroport à l’hôtel Boscolo où nous avons réservé. Quelle merveille ! Embarquement d’un quai de l’aéroport dont nous partons à vive allure sur l’eau pour être déposés sur le quai de l’hôtel donnant sur le grand canal. Nous faisons rouler nos valises dans les jardins merveilleux de l’hôtel Boscolo où nous sommes accueillis chaleureusement dans un cadre merveilleux. On nous amène dans notre chambre, la 109, avec vue sur la Rue Fondamenta Madonna dell’Orto.

Venise a pour moi un charme extraordinaire. Le Boscolo est situé au nord de la Ville, dans une zone tranquille où les touristes sont moins nombreux et le calme de l’endroit nous plait. Adrien et moi allons faire une marche à travers les rues, traversant les ponts, longeant les canaux, sans destination.

J’adore Venise. À huit heures du soir un mercredi, nous apprécions la tranquillité des lieux. Nous sommes parfois attirés par un artiste et le son de son instrument : c’est ravissant !

Venise m’enchante avec sa musique aux coins des rues, son rythme ralenti du fait de l’absence de voitures, les déplacements devant s’y faire à pied ou en bateau contraints à se soumettre à de petites limites de vitesse sur les canaux internes à la ville.

Venise est unique et je m’assure de jouir de chaque minute passée dans cette ville !

 

 

Le mardi 11 juillet 2017 : jour du départ

Vive les vacances ! Le jour du départ pour ce voyage programmé depuis des mois est enfin arrivé. Avec mon mari, je pars en croisière sur la mer Adriatique direction l’Italie, puis, suivi en Slovénie, pour une grande fête familiale où nous célébrerons le mariage de ma nièce Cloé avec Geoffrey, et pour terminer, une semaine à Paris.

C’est dommage de commencer une aussi belle aventure par un passage à l’aéroport international de Mais Gâté. Triste affirmation, je le sais, mais il est vrai que le terminal d’American Airlines est le seul acceptable dans cet aéroport. Pour les autres lignes aériennes, c’est le chaos dans un capharnaüm où aux heures de pointe, il y a un ratio d’une chaise pour cinq passagers qui n’ont d’autres choix que de se tenir debout ou de s’asseoir par terre dans un couloir, en attendant de voir brandir, de temps à autre, une pancarte indiquant le nom de la ligne aérienne qui les concerne. Alors, chacun souhaitant impatiemment le moment d’être confortablement installé, un rang se forme assez vite et de manière relativement ordonnée pour la vérification des cartes d’embarquement. Ensuite, les passagers doivent subir une dernière souffrance, car,  sur le tarmac, c’est dans un bus non climatisé que se fait le transport jusqu’au pied de l’avion. Circuler sous le chaud soleil des Tropiques au mois de juillet, lorsque la température atteint les 40 degrés Celcius, n’est pas une partie de plaisir.

Comme il vaut mieux commencer ses vacances sur une note positive, il est plus agréable de penser combien il est magnifique que Air Caraïbes offre un vol reliant Port-au-Prince à Paris avec seulement une courte escale en République dominicaine. C’est très pratique. Mais voilà que le transit dans un terminal net, propre et organisé de Saint-Domingue me remet du vague à l’âme. Je compare cet aéroport à celui de Port-au-Prince qui est sur la même île et cela me fend le cœur de voir combien nous autres, Haïtiens,  avons du travail à faire pour rattraper nos années de retard au niveau du développement.

Il m’est décidément difficile de rester avec des pensées distrayantes et relaxantes. Heureusement que mon regard se pose sur la coiffure afro d’une dame:   cheveux courts de deux couleurs, un pouce jaune au niveau de la racine et un pouce noir vers les pointes; cela n’a pas dû être facile d’obtenir un résultat pareil.  Moi qui me teins les cheveux, je sais combien je dois faire attention pour faire disparaître ces racines blanches qui se montrent avec une régularité impressionnante. Le mode d’emploi pour arriver à ce bicolore bien tracé doit être assez compliqué. Du coup, mon regard flâne dans la salle de transit où je m’intéresse maintenant aux coiffures qui me font penser combien l’industrie des soins de cheveux doit être florissante dans la Caraïbe. Je vois

  • De longues boucles lissées de deux couleurs différentes retenues sur la nuque par un beau ruban;
  • Des cheveux crépus gonflés au niveau du crâne, mais tressés très serrés au niveau de la nuque jusqu’aux omoplates, montrant ainsi le contraste entre les cheveux laissés à l’état nature et ceux qui ont été ordonnés.
  • Un chignon fait d’une belle natte sagement placé au haut du cou, avec les cheveux bien tirés sur le crâne; il a fallu faire attention pour qu’il soit aussi bien réussi.
  • Des centaines de toutes petites tresses lâchées, formant un volume impressionnant qui doit peser bien lourd.
  • Certaines chevelures traitées, devenues droites et donnant l’aspect des cheveux de femmes blanches sauf que ces belles femmes de la Caraïbe ont dû mettre du temps et du travail pour arriver à ce résultat….

Du coup, un regard sur les cheveux des blanches me porte à  les trouver ennuyeux : facilement domptables, ils sont lâchés, ou en queue de cheval, ou retenus sur la nuque par une barrette. Rien de plus. Des solutions faciles qui ne font pas travailler la créativité.

Quand nous rembarquons dans l’avion de Air Caraïbes qui a fait le plein d’essence et qui a été nettoyé à Saint-Domingue,  je suis ravie par leur service à bord. Je suis en classe Madras, équivalent de la  classe affaires sur les autres lignes. N’est-ce pas qu’ils ont du charme, les noms des classes d’Air Caraïbes ! La classe Soleil est la classe économique, et la classe Caraïbe est la première. En classe Madras, je reçois d’une hôtesse souriante et disponible une tablette pour lire les journaux. Chaque siège a un écran individuel avec choix de films. Les repas aux saveurs antillaises sont délicieux, et sur le charriot utilisé pour le service, il y a un bouquet de fleurs fraîches. Champagne et boissons sont servis à volonté.  Aux toilettes, je suis charmée de voir aussi un bouquet de fleurs naturelles. Je suis désolée qu’une ligne soucieuse de bien servir son client à bord soit obligée de se contenter du service au sol exécrable de l’aéroport de Mais Gâté.

Mon premier roman: “LA PREMIERE BOUCHEE”

Mon premier roman, La Première Bouchée, est en librairie!
Les 15 et 16 juin je serai à Livres en Folie au Parc du Mupanah et pourrai vous signer votre copie! Merci pour vos encouragements.

LA PREMIERE BOUCHEE - AGNES CASTERA - ROMAN


Pour ce mariage peu traditionnel, au budget limité, c’est un mille-feuille que Lilly offrirait en lieu et place de gâteau. C’était son dessert préféré, et comme il lui semblait approprié à la circonstance! Une vraie allégorie : les innombrables feuilles fines lui rappelaient que la vie était faite de mille surprises. La crème pâtissière à la consistance parfaite qui les reliait symbolisait le nécessaire élément réconciliateur et rassembleur dans toutes les étapes de la vie. Le glaçage lisse disait qu’il y avait malgré tout des moments où les choses sont faciles. Mais le dessin classique en vagues posé dessus était le rappel qu’on est parfois au creux de la vague, mais parfois aussi à son sommet. La vue d’un mille-feuille lui donnait toujours l’eau à la bouche. C’est un délice d’en prendre une bonne bouchée ! Mais, inévitablement, à la première bouchée, la crème pâtissière bave et coule… C’est plein de leçons, un mille-feuille : croquez la vie à pleine dents, il y aura toujours des bavures, mais tenez bon, essayez de rectifier… le résultat final est délicieux.

Éducation d’abord

En Haïti, tout citoyen ayant un minimum de standing est sollicité de toutes parts et pour toutes sortes de dépenses à l’époque de la rentrée scolaire. Chacun, y compris la généreuse âme que l’on implore, doit payer des frais d’inscription ou de réinscription scolaire, l’achat de tissus d’uniforme et le coût de confection de ces derniers, le matériel scolaire, les livres d’école, les chaussures, l’écolage, le transport… La liste ne s’arrête pas. Les besoins sont tous réels et pressants.

Pour les nombreux Haïtiens qui, comme Élisabeth, pensent que l’avenir est dans l’éducation, les mois de septembre et d’octobre sont des mois de grand stress et de gymnastique financière. Les consciences sont très agitées. Le débat intérieur est intense : « Achèterai-je, avec l’argent que j’ai gagné à la sueur de mon front, une robe de plus pour une armoire déjà remplie ou allouerai-je ce montant aux frais de réinscription d’un enfant ?» Les commerces non liés aux besoins scolaires fonctionnent alors au ralenti, car le grand cadeau d’une année supplémentaire de scolarité prend, dans la majorité des cas, le dessus sur un besoin que l’on juge fantaisiste durant cette période de l’année. Même les services que l’on penserait prioritaires, comme les soins de santé, sont relégués au second plan.

Pour tenter de se libérer de la tension que l’on vit à ces moments-là, en famille, entre amis ou dans les salons, on se raconte les anecdotes vécues. Par exemple, à l’anniversaire d’une amie, Élisabeth avait distrait la galerie avec ses histoires. Elle s’était plainte de la manière dont un samedi matin, elle avait été réveillée par un coup de fil matinal : six heures quinze du matin ! Tout le monde savait que le samedi était le seul jour de la semaine où elle pouvait traîner un peu plus tard dans son lit, n’ayant pas à aller au travail ou à la messe dominicale. Elle se réjouissait de ne pas avoir, comme son mari, une horloge biologique qui le faisait sortir du lit, quel que soit le jour ou l’occasion, à cinq heures quarante-cinq du matin. Pour se réveiller, elle avait besoin d’un réveil qu’elle s’assurait de sortir de la chambre les samedis, car il lui était arrivé une fois d’oublier de le désactiver en week-end, ce qui l’avait fort embêtée. Un téléphone qui sonne aussi tôt le samedi matin me donne des émotions. Quand, à l’autre bout de l’appareil, – on ne peut plus maintenant dire à l’autre bout du fil –, Dieuseul s’est identifié, elle a tout de suite été fâchée.

– Dieuseul, vois-tu l’heure qu’il est ? lui dit-elle d’une voix maussade.

Et la réponse, toute fière et bête de Dieuseul, l’avait exaspérée.

– Oui, Madame Élisabeth. Tu vois, j’ai attendu le week-end pour t’appeler et être sûr de te trouver sans te déranger. Je sais qu’en semaine tu travailles tellement.

Élisabeth avait raccroché en disant de la rappeler plus tard. Elle avait, de ce fait, passé une mauvaise journée. Sortie tôt de son lit, elle avait pris un café pour avoir l’esprit plus clair. Après le petit déjeuner, c’était elle qui avait rappelé Dieuseul.

Celui-ci avait travaillé avec elle pendant des années, mais l’avait laissée pour se faire engager dans une compagnie de sécurité où, disait-il, le salaire était plus alléchant. La réalité était que le statut était plus prestigieux, et l’uniforme si attirant ! Élisabeth n’avait pas été dupe. Mais peut-on reprocher à un être humain d’avoir des ambitions ? La compagnie n’avait, hélas, pas tardé à opérer une compression du personnel, et Dieuseul s’était retrouvé sans travail. C’aurait été une déchéance de recommencer à travailler pour Élisabeth. Mais il fallait aussi qu’il survive. Il avait donc fait le choix de devenir discrètement un protégé d’Élisabeth. Son orgueil en était blessé, mais, au regard de la société, la situation était plus honorable.

Autre anecdote ! Hier matin, en sortant de chez elle à six heures quarante-cinq pour se rendre au travail, elle avait remarqué la présence de Mario devant sa barrière. Ne voulant pas perdre de temps, elle l’avait alors invité à monter dans sa voiture. Sitôt installé, Mario était allé droit au but : il lui avait présenté les factures des écoles de ses trois enfants en demandant ce qu’elle pouvait faire pour lui. Élisabeth habitait maintenant Laboule, et son lieu de travail était situé au bas de Delmas, ce que Mario n’ignorait pas. En chemin, elle n’avait pas eu à demander à Mario où le déposer. Mario avait tout programmé et avait exposé son plan : il descendrait de voiture devant le bureau d’Élisabeth d’où il prendrait une camionnette pour se rendre chez lui à Carrefour.

Comment Élisabeth avait connu Mario ? Il était ramasseur de balles sur le court utilisé pour les leçons de tennis de ses enfants. Elle avait supposé que cela ne lui rapportait pas grand-chose et lui faisait de temps à autre des petits cadeaux : un pourboire, des chaussures ou du linge dont son mari pouvait se passer. Cela avait dévoilé sa nature généreuse, et Mario l’avait adoptée. Dans la voiture, il expliqua comment ce serait pratique pour lui de recevoir l’aide le jour même, ce qui lui éviterait les dépenses d’une autre expédition jusqu’à Laboule.

Depuis deux ans, Élisabeth utilisait tous les jours le même sac à main pour se rendre au travail et celui-ci commençait à montrer des signes de fatigue. Elle avait cherché à le remplacer et avait finalement trouvé, d’une dame qui tenait un commerce en chambre, un sac dont le prix était à sa portée. Cette commerçante n’acceptait évidemment pas les paiements par carte de crédit et préférait éviter les chèques. Élisabeth avait pris le montant en espèces pour l’apporter au bureau où cette dame viendrait lui livrer le sac. Ceci devait se passer le jour où Mario était dans sa voiture avec des factures de scolarité pour trois enfants. Personne ne lui avait fait la remarque que son sac périclitait ; c’était peut-être elle seule qui l’avait noté. Quel homme chanceux que ce Mario qui s’adressait à elle le jour où elle avait du cash ! Après avoir garé sa voiture, elle lui tendit l’enveloppe qui contenait l’argent de l’acquisition qu’elle avait planifiée. Elle s’excusa de ce que le montant ne couvrirait les frais que pour un enfant, et Mario la remercia sans effusion. À quelle âme charitable devait-il maintenant s’adresser pour les deux autres ? Élisabeth avait suffisamment d’humour pour finir son histoire en riant de cette fâcheuse coïncidence. Une compagne de bureau, arrivée en même temps qu’elle, la félicita au sujet de son look toujours impeccable. Avec un sourire affectueux, lui dit qu’elle s’étonnait qu’une femme élégante comme elle ne changeât jamais de sac à main…

« Ce genre de bonnes actions amène quand même des satisfactions », continua Élisabeth. Un jeune homme du nom de Claudy pour qui j’ai payé l’écolage est maintenant étudiant en comptabilité d’une école de Port-au-Prince. Il s’exprime correctement et est très reconnaissant envers moi à qui il apporte une fois l’an un cadeau, le plus souvent des légumes du jardin de ses parents. Il a été outré de voir, au coin de chez moi, à Laboule, une pile d’immondices puantes. Élisabeth était très concernée par cette situation qui, parfois, la déprimait. « Ces ordures jetées partout sont la preuve de notre médiocrité », disait-elle tout le temps, surtout quand elle voyait une nuée de mouches les survoler ou que des odeurs désagréables s’en exhalaient. Elle disait souvent à son mari qu’on y remarquait certains déchets emballés dans des sacs poubelle, et c’était pour elle un mystère puisque les gens capables de se payer ce matériel pouvaient s’abonner à un service de ramassage de détritus. Les prix offerts sur le marché par les quelques esprits entrepreneuriaux qui avaient eu l’idée de monter des compagnies offrant ces services étaient jusqu’ici raisonnables. Pouvait-on blâmer le peuple de faire de tout espace vide un dépotoir quand l’État ne mettait pas à sa disposition des poubelles ou des bennes vidées régulièrement ? Claudy lui avait suggéré de placer un écriteau sur le mur devant lequel était toute cette souillure : « Pa jete fatra la a ». Il garantissait que c’était simple et que cela marcherait. On irait les jeter sans doute quelques mètres plus loin mais, au moins, Élisabeth serait soulagée.
Pas très convaincue de l’efficacité de la mesure, Élisabeth ne réagit pas. Mais la semaine d’après, Claudy s’amena chez elle avec une pancarte faite par un de ses amis, et il était prêt à la clouer sur le mur. Elle en fut touchée. Mais la tâche n’était pas aussi simple que cela. Claudy ne pouvait pas avoir accès au mur sans risque d’attraper une maladie, ayant à patauger inévitablement dans la pourriture pour y arriver. Elle encourut donc la dépense d’engager la compagnie privée qui ramassait les ordures chez elle pour une mission spéciale : vider et nettoyer ce coin. Tout de suite après cette opération de nettoyage, Claudy pouvait mettre sa pancarte. Pour montrer à Claudy qu’elle appréciait sa délicatesse, elle l’accompagna dans sa besogne. Pour ce faire, elle choisit de porter sa tenue de sport la plus ancienne ainsi que ses plus vieux tennis, se disant que s’ils étaient contaminés par de la saleté elle s’en débarrasserait, après, sans remords.

Élisabeth est donc debout à moins d’un mètre de Claudy, supervisant les travaux. Avec eux, Jean, son brave garçon de cour. Elle s’assure que la pancarte est droite. Jean tient les clous qu’il passe progressivement à Claudy. Élisabeth voit s’avancer une belle Toyota Land Cruiser, les quatre vitres montées, le climatiseur rafraîchissant sans doute l’atmosphère. La voiture ralentit et la portière arrière droite s’ouvre. Un homme en descend pour se diriger vers le coffre où il y a un sac poubelle. Élisabeth salue alors le conducteur qui n’est autre que Benjamin, un collègue de bureau de son mari. Celui-ci répond, tout gêné, et crie alors à son garçon : « Mais, Jeanjean, qu’est-ce que tu fais ? Je ne faisais que saluer madame. Partons, je suis pressé. »

Jeanjean remonte dans une voiture qui démarre à toute vitesse et Élisabeth comprend le stratagème. Elle est gagnée par le désespoir… « Éducation avant tout » est son moto… Mais où commencer avec l’éducation ?

Une histoire de trottoirs

La mairie de Pétion-Ville avait décidé que les trottoirs de la commune devaient être agrandis. Ils devaient tous avoir deux mètres de large. Noble initiative. Sur les clôtures dont les trottoirs ne répondaient pas aux nouvelles normes, on inscrivait à la peinture rouge : « À démolir MPV ».

Élisabeth savait que MPV était le sigle de Mairie de Pétion-Ville. Cependant, elle avait une interprétation farfelue de cette inscription. Quand elle la voyait, elle ne pouvait s’empêcher de penser que le propriétaire avait crié « Mwen pa vle »[i] quand il avait reçu  l’injonction de reculer son mur et que, de ce fait, il avait été puni avec son mur affublé d’un horrible graffiti pour faire connaître à la ville son insoumission : MPV = Mwen pa vle.

Élisabeth savait que son trottoir ne mesurait qu’un mètre quatre-vingts. Elle n’irait cependant pas au-devant des desiderata de l’État. Comme les autres habitants de la ville, elle ne voulait pas déplacer son mur et, pour sa part, elle attendrait qu’il soit sali par les autorités pour obtempérer. Elle avait autre chose à faire de son argent que de reconstruire un mur qui était en parfait état, sachant, de surcroît, qu’un trottoir plus large ne servirait qu’à abriter plus confortablement des marchands du secteur informel qui, sans qu’elle arrive à se l’expliquer, ne s’étaient encore jamais installés sur le sien. Elle savait pourtant que l’envahissement était incontournable et elle se surprenait à prier que ce soit un marchand de fleurs et non pas un marchand de pèpè[ii] qui s’y établisse, le jour fatidique où quelqu’un réaliserait que cet espace était encore libre. De grands seaux de fleurs seraient plus beaux que des vêtements accrochés au mur à l’aide de cintres déformés par leur multiple usage. Sans oublier que l’installation des pèpè entraînait souvent des essayages par des clients pas toujours prudes, et cela, Élisabeth ne le supporterait pas ! Par contre, il pouvait s’avérer commode de pouvoir s’acheter des fleurs, juste devant chez soi. Elle se doutait que les fleurs amèneraient l’odeur désagréable de l’eau changée trop peu souvent… Mais entre deux maux, il fallait choisir le moindre… Elle préférait définitivement les fleurs aux pèpè.

Et le jour arriva où Élisabeth dut déplacer son mur et où, bien sûr, des marchands s’installèrent sur son trottoir. Mais là, elle eut de la veine ! Ni pèpè ni fleurs : des plantes ! Elle qui avait la passion des beaux jardins, qui soignait et « manucurait » le sien, pouvait maintenant jouir d’un autre jardin et d’une source d’approvisionnement en plantes à portée de la main. Un jour, après la finition des travaux, son regard fut attiré, en sortant de chez elle en voiture, par une multitude de splendides oiseaux du paradis en fleurs. Le comble était de constater que les plantes côté trottoir étaient plus belles que celles côté jardin abîmées par le chantier. Elle arrêta donc sa voiture et en descendit pour acheter des plantes de Jean, ce nouveau « locataire non payant » avec qui il valait mieux faire bon ménage.

Un marché fut vite conclu. Élisabeth demanda de lui porter sa nouvelle acquisition de l’autre côté de la clôture où la somme due serait versée à l’abri d’yeux indiscrets. Jean ne manqua pas d’inspecter en connaisseur le jardin d’Élisabeth. Il lui fit des suggestions pour l’embellir et lui proposa de mettre les plantes en terre tout de suite. La consultation fut plus longue que prévue mais, après un moment, Élisabeth et Jean retournèrent sur le trottoir, tous deux satisfaits. Élisabeth était loin de s’attendre à la forte émotion qui l’attendait : sa voiture n’était plus là. Paniquée, à la pensée qu’on la lui avait volée, elle poussa un cri.

Elle fut vite informée par les marchands du voisinage que sa voiture avait été remorquée parce qu’elle avait laissé les quatre roues sur la chaussée. Elle avait oublié que les trottoirs étant maintenant plus larges, il était devenu obligatoire de se garer avec deux roues sur le trottoir et deux roues sur la chaussée.

Elle refusa, agacée, l’offre farfelue de Jean de l’amener à moto au Service de la circulation ; elle regarda, effarée, le trafic qui n’avançait plus du tout dans sa ville qui bouge[iii]. Elle était énervée d’avoir à saluer tant de gens qui, insensibles à sa mine renfrognée, ne lui demandaient pas si elle avait besoin d’aide. Elle réfléchissait : il lui fallait quatre mille gourdes en espèces pour payer les frais de remorquage en sus de l’argent pour la contravention et elle venait de vider son portefeuille pour payer les plantes. Le bruit incessant des klaxons la faisait enrager. Elle avait envie d’étrangler tous les chauffeurs de Pétion-Ville qui semblaient s’être mis d’accord pour appuyer simultanément sur leurs avertisseurs sonores.

Son téléphone se mettait de la partie ! Il sonnait sans arrêt, augmentant le chaos ! Les conversations téléphoniques étaient bien la dernière chose dont elle avait envie ! Heureusement, elle avait quand même répondu. Les nouvelles allant vite, les appels arrivaient les uns après les autres, l’informant que sa voiture créait un embouteillage monstre à Pétion-Ville. À quelques mètres de chez elle, un gros camion remorque était en panne avec sa voiture exhibée comme un trophée.

Les gens qui l’appelaient riaient de la situation ! – c’est bien que le cellulaire les qualifie de contacts et non d’amis. Amusés, ils lui avaient dit que sa voiture était la cause de ce vacarme ! Non, elle ne pouvait accepter de porter cette responsabilité ! C’était plutôt la faute à un État qui se veut coercitif et qui devient ridicule en ne se donnant pas les moyens de mettre à exécution ses propres sanctions.

D’un pas décidé, elle alla à pied voir ce qui se passait. Sans rien dire, son nouveau fournisseur, Jean, la suivit. Les vendeurs du voisinage aussi. L’embouteillage dans les rues ne faisait pas marcher leur commerce ; autant se déplacer… Les chauffeurs bloqués se laissaient distraire par le spectacle insolite d’Élisabeth ouvrant la marche, suivie de cinq hommes…

Elle n’avait pas marché longtemps pour constater de visu que sa voiture était en effet hissée à l’arrière du camion remorque en panne à une intersection, bloquant ainsi le trafic dans plusieurs sens. Elle s’approcha et vit le capot du camion soulevé avec deux hommes penchés, le visage enfoui très près du moteur, essayant de le faire redémarrer. Un policier, visiblement impuissant, se tenait debout et, dans la mesure où il était en position de faiblesse, il se faisait invectiver par des automobilistes qui baissaient leur vitre et sortaient leur tête pour l’invectiver :

– Vous ne devriez pas vérifier l’état de votre camion avant d’aller emmerder les gens et de ramasser leurs voitures ?

– Combien de temps resterons-nous bloqués là, à cause de l’incurie de votre service ?

Élisabeth s’approcha, pas moins furieuse, pour faire savoir au policier, en lui montrant du doigt sa voiture, qu’elle tenait à la récupérer.

« Dan pouri gen fòs sou bannann mi »[iv], c’est une réalité de la vie. Élisabeth et son cortège ne paraissaient pas menaçants, et le policier fut bien content de pouvoir enfin se défouler :

– Eh bien, madame, ramassez donc vite votre saloperie ! C’est vous qui créez du désordre dans la ville. Si votre voiture n’avait pas été mal garée, il n’y aurait pas eu ce chaos ! Messieurs, cria-t-il, en s’adressant aux deux mécaniciens improvisés, voici la propriétaire de la voiture. Venez la remettre à cette fautrice de troubles. Cela fera un souci de moins à gérer…

Élisabeth eut soudain l’impression d’exploser. Voilà qu’on la traitait de « fautrice de troubles » ! De quoi était-elle donc coupable ? Peut-être, de n’avoir pas payé l’entretien de ce camion remorque pour qu’il ne tombât pas en panne ?

Comme elle se sentit humiliée quand on fit descendre sa voiture au sol et que le policier ajouta avec le ton condescendant de celui qui lui faisait la charité

– Partez, madame, avec votre fatras ! Et puis, je vous fais grâce : vous n’avez rien à payer.

Et il gueula plus impatient

– Madame, partez donc ! Vous ne voyez pas que vous perdez du temps ! Glissez-vous là sur le trottoir entre le camion et ce mur, et vous passerez. Votre voiture est assez petite pour cela. J’espère que d’autres pourront vous suivre. Cela permettra peut-être de dégager un peu la rue en attendant que le camion puisse bouger.

Oui, le coin était libre et, en faisant très attention, elle pouvait conduire  sa voiture sur le trottoir. D’autres pourraient sans doute la suivre en attendant le départ de ce gros camion. Il s’agissait d’un trottoir de deux mètres propre et encore vide. Il devait y avoir un secret ! Pour ce trottoir modèle, elle eut, pendant une seconde, un accès de jalousie. Mais il se dissipa quand elle se souvint que c’était bien connu : à ce coin de rue, le soir, il y avait plein de dames qui faisaient le trottoir…

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[i] Mwen pa vle : Je ne veux pas.

[ii] Pèpè : linge usagé.

[iii] « J’aime Pétion-Ville. Ma ville bouge » : Slogan de la ville de Pétion-Ville, Haïti, depuis l’année 2010.

[iv] Dan pouri gen fòs sou bannann mi : proverbe créole qui, traduit textuellement, signifierait : Les dents pourries ont de la force sur les bananes mûres. Autrement dit : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».

Vie courte, vie longue

Le temps ! Élisabeth en aurait-elle jamais assez ? On pouvait penser qu’elle avait une existence paisible dans son beau pays d’Haïti où elle avait un emploi, un toit et une famille.  Mais la réalité est que vivre dans un pays du tiers monde demande des journées plus longues.

Élisabeth s’appliquait à être ponctuelle, qualité qu’elle trouvait admirable, mais peu courante dans son pays, et les frustrations que cela lui causaient étaient inimaginables. Combien de fois n’avait-elle pas perdu du temps, dans sa journée qui n’en avait déjà pas assez, pour avoir fait l’effort de respecter l’heure d’un rendez-vous avec quelqu’un qui appliquait la norme de la demi-heure ou de l’heure de retard acceptable à Haïti chérie? Pour estimer le temps de son déplacement, elle prenait en considération les inévitables embouteillages, les éventuels contrôles de police, les attroupements intempestifs de piétons qui bloquaient les rues… Toute rencontre d’une heure prenait, en incluant le temps du déplacement, au moins trois heures de la journée, sans compter le temps improductif passé à attendre l’interlocuteur retardataire qui ne s’excusait jamais et ne pouvait plus avancer le prétexte d’une montre qui, subitement, ne marchait plus…  Dans le monde moderne, l’heure est une donnée disponible un peu partout : elle est affichée sur les téléphones cellulaires, nouvelles extensions de l’homme. Les stations de radio que l’on écoute en voiture la diffusent régulièrement, et les tableaux de bord des véhicules l’indiquent… On n’a plus à s’adresser gentiment à un passant pour lui demander “une petite heure en cadeau.” (1)

Tout compte fait, le trafic infernal des rues de Port-au-Prince et de Pétion-Ville était ce qui permettait à Élisabeth d’avoir un peu de complaisance envers les nombreux retardataires. Elle savait qu’aux heures de pointe, il fallait compter une demi-heure par kilomètre et avoir des nerfs solides : klaxons ; piétons ; chauffeurs de tap-taps (2) indisciplinés qui s’arrêtent et redémarrent  à tout bout de champ pour prendre un passager ou en déposer un autre ; motocyclistes de plus en plus nombreux doublant à droite comme à gauche sans crier gare, montant sur les trottoirs dans les rues  trop encombrées ; cela met vite un chauffeur sur les dents, enlève toute velléité de bonne humeur et donne du retard.

Comme dans les matchs de football où l’on joue en fin de partie les arrêts de jeu, au bureau, on prolongeait les journées du nombre de minutes passées dans les rues, nombre de minutes non négligeables ! De ce fait, Élisabeth rentrait souvent chez elle assez tard dans la soirée, épuisée. Mais elle s’estimait chanceuse d’avoir l’aide précieuse de Marie qui servait à la famille le repas chaud qu’elle avait préparé et qui faisait ensuite la vaisselle. Élisabeth s’installait alors à la table de la salle à manger pour travailler un peu à son petit commerce en chambre de cosmétiques. Elle ne pouvait s’empêcher de prêter attention au bruit de l’eau coulant du robinet de l’évier et de crier, de temps à autre : « Trop fort, l’eau pour la vaisselle, Marie ! Le camion d’eau coûte cher. »

Il était important de prêter attention à bien des détails pour palier la carence des services que l’État devrait normalement fournir, et cela prenait du temps. Il fallait penser à mettre de l’eau distillée dans les batteries d’inverter (3), vérifier le niveau d’essence de la génératrice, ne pas oublier de laisser à la maison le chèque pour payer le ramassage des ordures ou la livraison d’eau, s’assurer que la bonbonne de réserve de gaz propane était pleine pour ne pas avoir la désagréable surprise de ne pas être capable de préparer même un café au réveil, prendre les gallons vides d’eau potable pour les remplir. Il ne fallait surtout pas négliger de payer à temps l’abonnement d’électricité même si on n’avait pas reçu de bordereau pour le courant de ville qui n’était fourni que durant quelques heures par jour. L’Ed’H (4) était prompte à débrancher ses abonnés pour quelques jours de retard de paiement et lente à reconnecter après la mise à jour du compte.

Gérer, avec son mari, le petit commerce en chambre prenait du temps, mais les revenus mettaient du beurre dans les épinards. Ils aidaient à financer les vacances annuelles avec la famille. Élisabeth et son mari avaient décidé de toujours visiter des pays développés pour faire connaître à leurs enfants, et goûter eux aussi, des petits plaisirs aussi simples qu’une promenade à pied dans un parc ou une séance de cinéma, choses qu’ils ne pouvaient faire chez eux. Les resorts de la Caraïbe ne les intéressaient pas. Ils avaient vu assez de cocotiers, avaient eu assez de soleil, avaient trop souffert de la chaleur. Ils voulaient voir des conifères, ressentir un peu de fraîcheur et avoir à se couvrir. Élisabeth désirait un vrai changement d’horizon pendant ces deux semaines.

Elle et sa famille avaient visité New York, Montréal, Paris, Rome… Elle revenait toujours enchantée de ses voyages et, dès son retour, elle rêvait du prochain qu’elle commençait à planifier… Elle se disait souvent que la vie était trop courte et qu’elle ne lui permettrait pas de mettre à exécution tous ses projets et tous ses rêves.

Mais seuls les bénis et les privilégiés pensent que la vie est trop courte ! C’est Black Alex qui lui a fait comprendre cette réalité avec son hit chanté de sa voix puissante et perçante qui vous prenait aux tripes :

Lavi a long, li long, li long, li long

Pa gen tankou’l

Ou pralé wap kité’l la

Sa fè’m mal oh ! (5)

En 2002, Black Alex n’avait que vingt-six ans quand il a poussé ce cri de douleur. Il avait pourtant reçu du Bon Dieu un grand talent : cette voix qui lui a fait connaître le succès sans lui apporter le bonheur : « Lavi a long, li long, li long. » Il est mort en 2015 à trente-neuf ans, vie courte ! Il est parti jeune, réalisait Élisabeth qui avait dépassé cet âge.

Jamais elle ne se plaindra que la vie est trop courte. Elle dira plutôt qu’elle était heureuse d’être parmi les bénis qui trouvaient la vie courte parce qu’ils avaient des rêves, des projets, une vie décente et pas de temps à tuer et, souvent, pendant ses journées chargées, elle se surprenait à prononcer cette prière : « Mon Dieu, accorde à tous mes compatriotes le bonheur d’une longue vie qu’ils trouvent trop courte. »


1.- En Haïti, on utilise la formule créole Fè m kado on ti lè pour demander l’heure à un passant. Traduction française : « Offrez-moi une petite heure en cadeau. »

2.-Tap-taps : Véhicules de transport en commun très colorés. Ils n’ont pas de points d’arrêt, et leur nom vient du fait que le passager tape sur la carrosserie du véhicule pour indiquer au chauffeur qu’il est arrivé à destination.

3.-Inverter : Onduleur, convertisseur statique d’électricité. Le mot anglais inverter est couramment utilisé.

4.-Ed’H : Électricité d’Haïti.

5.-Traduction française : La vie est longue, longue, longue, longue. Il n’y a pas comme elle. Vous partirez et la laisserez. Et ça me fait mal, oh !

Le National – 25 avril 2016

http://lenational.ht/agnes-castera-figure-delisabeth/

Invitation – Vente signature -30/4/2016

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